DERAISONNABLE

Création AVIGNON 2022 / Artéphile - Bulle de création contemporaine 13H30


Texte : Denis Lachaud

Mise en scène : Catherine Schaub

Interprétation : Florence Cabaret

Lumière : Thierry Morin

Musique : Aldo Gilbert

Production : Agnès Harel


Une actrice disparaît un soir.

Au lieu d'aller jouer, elle erre entre Paris et la banlieue. La police la retrouve après 48h. Elle souffre d'un trouble bipolaire, mais ne le sait pas encore…

Dans ce témoignage plein de vie écrit par Denis Lachaud,  Florence raconte son histoire et dresse un portrait acéré de notre société pleine de contradictions.

Elle incarne avec espièglerie, les personnages qui ont joué un rôle important dans sa vie, figures de théâtre mais aussi parents et psychiatres.

Chemin faisant, elle s'incarne elle-même, jusqu'au vertige.

Et quand vous souffrez d'un trouble bipolaire, être un double de soi-même sur la scène du théâtre, c'est assez audacieux



Origine du projet

Je connais Florence Cabaret depuis 20 ans.

Je l'ai vu jouer des personnages fascinants :  Sonia dans Oncle Vania, Iphigénie, Madame de Léry, Médée, Marie Tudor, dans lesquels elle exprimait force et fragilité avec une sensibilité rare.

Une comédienne puissante.

En mai 2020, je croise Florence dans la rue, hasard joyeux comme un cadeau de la vie.

Elle m'apprend qu'elle est en train de devenir agent immobilier.

Je suis interloquée, j'ai du mal à croire qu'elle abandonne le théâtre... Puis la phrase tombe comme un couperet :  « J'ai été diagnostiquée bipolaire », son visage se froisse.

Elle me raconte alors un long parcours difficile, un épisode maniaque qui la conduit en hôpital psychiatrique, lorsque, sortant de scène, elle se prend pour Marie Tudor pendant plusieurs jours, enterre ses papiers d’identité pour pouvoir être enfin pleinement « reine ».

Le lendemain, elle ne vient pas jouer. Un avis de recherche est lancé, la police la retrouve quatre jours après. Elle est hospitalisée à la demande d’un tiers.

Sur scène, on la remplace, l’équipe est fâchée contre elle.

Double peine.

Je sors du café un peu sonnée.

Qu'est ce que la bipolarité ?

Mais surtout qu’est ce que la bipolarité pour une comédienne ?

Au delà de l’histoire de Florence, je me demande ce qu’il se passe dans le cerveau d’un acteur qui devient un personnage. Quelle est cette frontière si ténue entre le jeu et le je ? Que se passe t-il quand il n’y a plus de frontières ?

L’incarnation des rôles joués provoque t-elle des séquelles plus ou moins importantes?

Je contacte Léa Rotenberg, psychiatre cheffe du service des urgences de l'hôpital européen Georges Pompidou. Je la rencontre, la questionne, l'interviewe longuement.

Parallèlement, j'écris à Denis Lachaud, auteur dont j'aime le travail depuis des années.

Je lui explique mon projet de spectacle, mes questionnements, il s’enthousiasme. Je demande à Florence si elle est prête à jouer le jeu et/ou à jouer le je.

Je sens son corps se remettre à vibrer.

Nous organisons alors plusieurs séances de travail avec Denis Lachaud et Florence : écouter, explorer, exprimer,  partager.  Puis nous rencontrons les merveilleux Anne Cabarbaye Mange et Alexandre Mange qui soutiennent et accueillent la création du spectacle, dans leur lieu engagé et dédié aux écritures contemporaines à Avignon : le théâtre Artéphile.

C’est le début d’un projet ambitieux et passionnant qui nous rassemble.

Catherine Schaub


 

Processus de création et d’écriture

Catherine Schaub et moi-même rassemblons, dans un premier temps, le matériau qui va me permettre d'écrire.

Nous recueillons la parole de Florence Cabaret.

Nous lui demandons de revisiter son enfance, puis les premiers symptômes de la pathologie, à une époque où elle n'a pas encore été diagnostiquée, les premiers séjours en hôpital psychiatrique, nous lui demandons également de décrire le délire, en période de crise, les différentes injonctions qui prenaient possession de sa personne.


Florence nous explique également comment elle vit son métier de comédienne, son rapport au texte de théâtre et au personnage qu'elle doit interpréter.

Nous recueillons la parole d’une psychiatre urgentiste, qui répond à toutes nos questions concernant la pathologie bipolaire, sa prise en charge dans le système français, les relations soignant-soigné, l'entente thérapeutique.

Nous recueillons aussi le témoignage du père de Florence, qui vient éclairer le parcours de notre personnage central de l'extérieur.


À partir de tous ces matériaux sonores, j'écris un texte. Je me fonds dans le rythme de la parole de Florence (que j'ai plusieurs fois enregistrée) pour composer son témoignage. J'utilise à la fois sa capacité de comédienne à incarner différents personnages et ce qu'ouvre la compréhension du délire quand il prend une forme psychotique pour composer un texte à plusieurs voix destiné à une comédienne unique. J'utilise la résonance entre “le fou“ en plein délire et l'acteur, tous deux possédés par une pensée qui n'est pas la leur, pour procéder au montage d'une dramaturgie permettant au spectateur de prendre la mesure d'une telle expérience de la vie.

Il nous semble aujourd'hui particulièrement important de questionner la limite entre le réel et le délire, d'explorer la capacité que possède le langage à créer une réalité qui éloigne de ce qui est.

Denis Lachaud